Dans un entretien accordé au Monde daté du 20 février 2016, Laurent Berger explique le positionnement de la CFDT face a projet de loi sur le droit du travail.
L’avant-projet de loi de Myriam El Khomri sur le droit du travail est très critiqué à gauche. Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, aura « du mal » à le voter et calera sa position sur celle des syndicats réformistes. Ce texte est-il trop libéral ?
Ce qui nous guide, c’est l’intérêt des travailleurs, et non la position de tel ou tel. Cet avant-projet est très déséquilibré entre la flexibilité et la sécurité. Il apporte de mauvaises réponses à des revendications patronales, en faisant la part trop belle à une vision un peu dogmatique de la flexibilité. L’accueil de la CFDT est négatif.
Les soixante et un « principes essentiels » du rapport Badinter pour chapeauter le code du travail sont repris…
Ce n’est que l’éclaircissement de ce qui existe aujourd’hui. C’est potentiellement intéressant, mais ce n’est pas de nature à compenser les mesures prises par ailleurs.
Jugez-vous qu’il comporte assez de garde-fous, par exemple sur le temps de travail, pour encadrer la négociation collective et préserver un socle minimal de droits sociaux ?
La réaffirmation de la durée légale et de la majoration des heures supplémentaires, c’est une bonne chose. Mais nous avons un certain nombre de désaccords, notamment la possibilité d’une modulation du temps de travail au-delà d’un an. Mais aussi le renvoi à la décision unilatérale de l’employeur pour les petites entreprises. Cela rajoute un désaccord avec nous.
Tout ce qui permettrait à une entreprise de déroger à un ordre social fixant une durée du travail ne doit pouvoir se faire que par accord syndical majoritaire. Nous avons aussi un désaccord fort sur l’absence de mandatement dans les petites entreprises – une exigence de la CFDT. Je ne crie pas au loup sur toutes les dispositions, notamment sur la place laissée à la négociation collective parce qu’on est d’accord, mais je dis attention à chaque fois qu’on laisse le champ libre à la décision unilatérale du chef d’entreprise.
Le recours au référendum d’entreprise ne va-t-il pas marginaliser les syndicats ?
Je préfère parler de consultation des salariés plutôt que de référendum d’entreprise. Cette consultation, telle qu’elle est prévue dans la loi, est à usage unique des syndicats lorsqu’un accord est signé par des organisations ayant une audience électorale de 30 % et non de 50 %. Consulter les salariés, ce n’est pas un gros mot. Je ne vois pas pourquoi des syndicalistes en auraient peur, dès lors qu’ils l’organisent eux-mêmes, dans des conditions à définir par un accord de méthode.
Mais quand les syndicats sont majoritaires, cela résulte déjà d’une consultation des salariés à travers les élections professionnelles…
C’est vrai, mais il peut y avoir des situations entre deux élections qui nécessitent de consulter les salariés. Si la consultation était à l’initiative de l’employeur, on serait vent debout.
Le plafonnement des indemnités prud’homales et la « clarification » des règles sur la motivation des licenciements économiques constituent-ils un casus belli pour la CFDT ?
C’est un désaccord ultraprofond. Le niveau des indemnités prud’homales est scandaleux, totalement inacceptable. Les plafonds sont très faibles. Il y a la suppression des planchers et même la remise en cause du référentiel qui était prévu dans la loi Macron. Il est hors de question que cela reste en l’état. Sur les licenciements économiques, cela a été rajouté au dernier moment. Le gouvernement a cédé à la panique et aux idées de libéralisation les plus farfelues du patronat. Cela n’a pas sa place dans ce texte. On est en désaccord total sur le périmètre retenu.
Si on raisonne au niveau d’un groupe, pour des entreprises exerçant la même activité en France, cela favorisera la mise en concurrence entre entreprises et le dumping social en Europe. Cette « clarification » est inutile. Et elle peut être dangereuse, car elle ne créera pas d’emplois et elle peut en détruire. On part du principe que ce qui empêcherait d’embaucher serait la peur de licencier. C’est stupide. Le risque est qu’il y ait des licenciements abusifs parce que le plafond est tellement bas que des entreprises en profiteront.
Existe-t-il encore une marge de négociation ?
Non, puisque le texte est parti au Conseil d’Etat et va être soumis au conseil des ministres. Mais il y a beaucoup de marges d’action auprès des parlementaires et de l’opinion publique pour faire rectifier ce texte.
Vous envisagez une riposte intersyndicale ?
La CFDT n’est pas opposée à agir avec d’autres, mais si c’est pour s’opposer au renforcement de la négociation contenu dans le texte, ce ne sera pas possible. La CFDT se donnera les moyens de faire évoluer ce texte et on verra avec d’autres organisations syndicales si on peut s’exprimer et agir en commun.
Le compte personnel d’activité (CPA)répond à une revendication syndicale. Mais la modestie du contenu ne risque-t-elle pas d’en faire un leurre ?
Si on arrivait à le construire, ce serait un vrai progrès social. On ne pourra pas, dès 2017, réaliser l’intégralité du CPA, par rapport à ce qu’on veut faire sur la sécurisation des parcours professionnels et l’articulation des différents temps tout au long de la vie. C’est une première impulsion. L’abondement de droits pour les jeunes sortis sans qualification du système scolaire est positif. Mais on voit encore peu les contours du CPA. Il faudra le nourrir beaucoup plus pour en faire un outil sécurisant pour les salariés.