Prime covid pour les aides à domicile : charité présidentielle contre respect du droit du travail, le compte n’y est pas !
janvier 8, 2021

La « prime Covid » promise par E. Macron aux aides à domicile aurait-elle pour objet inavoué –et inavouable politiquement- de dissimuler l’exploitation éhontée de ces salariées (le secteur est composé presque exclusivement de femmes) depuis des années ? Viserait-elle à faire oublier que, chaque mois, la plupart d’entre elles se voient privées d’une partie de leur salaire du fait de ce qu’il faut bien appeler une fraude massive et systémique par dissimulation d’heures travaillées ?

Allons, nous dira-t-on, il ne faut pas céder aux passions tristes… Après tout, verser une prime de Noël et de la sorte « rendre hommage » à celles qui ont tenu bon et ont continué à soutenir personnes âgées et handicapées, comment ne pas être d’accord ? Disons-le tout net : nous sommes d’accord.

Mais nous affirmons surtout que ces salariées ont droit à mieux qu’au versement improbable d’une prime Covid, elles ont droit au respect… et notamment au respect du droit du travail.

Nous ne parlerons pas ici des conditions de travail et de santé de ces salariées ni de la surabondance des licenciements pour inaptitude (mais rappelons tout de même que les aides à domicile sont en moyenne davantage touchées par les problèmes de santé au travail que le reste de la population active, voir notamment l’enquête de la DARES d’août 2018).

Nous ne nous étendrons pas sur les caractéristiques socioprofessionnelles de ces salariées qui en font une population particulièrement fragile (forte proportion de familles monoparentales). Nous n’insisterons pas plus sur la faiblesse des institutions représentatives du personnel induite notamment par l’éclatement des collectifs de travail, le plus souvent géographiquement dispersés.

Nous restreindrons modestement notre propos au salaire, contrepartie du temps travaillé. Car à y regarder de plus près (« aller voir », c’est précisément le cœur du métier de l’inspection du travail), derrière cette prime Covid certainement méritée bien qu’à usage largement compassionnel, les agents de contrôle savent que ces salariées ne sont pas payées pour l’intégralité du temps travaillé, une partie de leur temps de travail n’étant tout simplement pas décomptée.

De quoi s’agit-il ? Des heures consacrées par les aides à domicile à se déplacer du domicile d’un client à celui du client suivant, soit parfois le quart du temps de travail total.

Comment est-ce possible ? Il suffit pour les employeurs de désigner ces heures de déplacement comme « temps non productif » et en conséquence de ne pas les rémunérer, ou partiellement et de manière forfaitaire. En droit du travail, ça s’appelle de la dissimulation d’heures travaillées et la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne dit pas autre chose depuis 2014 : « le temps de déplacement professionnel entre le domicile d’un client et celui d’un autre client, au cours d’une même journée, constitue un temps de travail effectif et non un temps de pause » (voir l’arrêt Domidom C.Cass Crim n°13-80665 et la publication CFDT Santé Sociaux juin 2018 sur la question).

Les travaux de deux économistes spécialisés sur ce secteur (FX Devetter et E Puissant) méritent d’être cités : ils confirment les constats de l’inspection du travail, ils démontrent le caractère systémique de l’infraction et en expliquent les causes. Quelques citations éclairantes :

  • Ce ne sont pas les salariées qui sont à temps partiel, mais le décompte de leur travail qui est incomplet » (« L’attractivité des métiers du grand âge reste peu reconnue », octobre 2019).
  • « Le temps partiel est généralisé pour les emplois d’aide à domicile. Mais peut-on parler de temps de travail partiel quand la majorité des salariées ne peuvent, physiquement et psychologiquement, travailler plus ? »
  • Les montants en vigueur de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) dans la plupart des départements dépassent rarement 21 euros pour une heure, alors que toutes les études de coûts l’évaluent autour d’un minimum de 26 euros.
  • Une des manières de valoriser ces métiers consisterait « à payer chaque heure de travail au moins 25% de plus que ce qui est pratiqué actuellement », de sorte à « prendre en compte les particularités de ces métiers à l’image de ce que l’on pratique habituellement pour d’autres catégories professionnelles dont l’activité se décompose entre des « temps forts » de production présentielle directe et des « temps creux » (Le Monde, 15 juin 2020).

Alors que faire ? Côté syndical, exiger le respect du droit et notamment du droit conventionnel, on ne peut plus clair sur la question (voir notamment l’avenant 36 à la convention collective de la BAD et Syndicalisme Hebdo n°3758, page 8).

Quid côté inspection du travail ? Laisser faire, sûrement pas ! Sans doute continuer et amplifier le travail de contrôle déjà engagé, identifier et relever autant que possible cette infraction systémique de dissimulation d’heures travaillées. Il y a urgence, ce sont des centaines de milliers de salariées qui sont concernées et l’enjeu démocratique ne devrait échapper à personne.

Infraction systémique ? Cela ne devrait-il pas donner l’idée à nos têtes pensantes et dirigeantes de mobiliser le « système » d’inspection du travail ? En matière d’infraction systémique, l’action collective paraît à tout le moins toute indiquée, il s’agit de faire évoluer l’ensemble d’une branche, s’en tenir à quelques entreprises restera sans effet.

Mais la DGT semble bien trop obnubilée par d’autres priorités. Il est sans aucun doute important de s’intéresser aux conditions de travail et de rémunération des travailleurs détachés et de mobiliser les troupes, pour ce qui ressemble tout de même bien souvent à un tonneau des danaïdes.

Il reste qu’il y a quelque chose de rageant à constater que ministres et DGT de concert laissent perdurer une situation connue de tous, et qui touche tout de même le secteur professionnel qui a le plus recruté ces dernières années. Parce qu’elle implique directement des fonds publics ? Ou parce qu’elle ne concerne « que des femmes » venues de l’autre côté de la Méditerranée ?

Il est notable que les actions prioritaires de notre ministère concernent essentiellement les hommes (chute de hauteur, PSI…). Comment se justifie l’oubli de cette population féminine, confrontée de plus à un risque biologique quotidien en ces temps de COVID ?

On en finirait presque à se demander s’il n’y a pas là quelque processus de discrimination indirecte au sens de l’article 1 de la loi n°2008-496, non pas visant mais certainement touchant une population spécifique…Mais voilà que nous nous égarons, de nouveau, sans doute victime d’une passion triste…

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